Lounis Aït Menguellet, ce grand témoin de notre siècle

“J’ai fait un comme un rêve / aujourd’hui n’est pas comme hier…” chantait-il. Heureux le peuple qui fait sien un grand poète et chanteur comme Lounis Aït Menguellet.

L’artiste est à part. Inclassable. Insaisissable. Il y a l’homme, discret, qui chemine presque tranquille dans un monde pétri de fureur, de cuistrerie, semant au fil des ans et des chansons courage et grande générosité. Il y a cet homme qui tient ferme, sans faillir, son destin. Le citoyen de son pays et du monde qui dit en vers sa pensée et tresse avec une sincérité virginale l’histoire des siens et par-delà, toute l’humanité. Le compagnon fidèle et réservé. Le poète qui porte le verbe dans les blessures les plus insondables comme cet onguent magique que nos grands-mères nous appliquaient avec ce soin et cette conviction profonde de son efficience. Enfin, le montagnard resté chevillé à sa terre dans ses moindres empans, ses ruisseaux qui chantent les siècles, les femmes, les hommes, la joie et crient ses douleurs.

Cet homme né au mitan du siècle dernier, quatre ans seulement avant le tourbillon d’une des guerres de décolonisation les plus violentes. Lounis Aït Menguellet en sortira avec des images de braises rageantes, des chansons d’anthologie.

Il embrasse l’indépendance dans la force d’une jeunesse naissante. Avec passion et patience, le jeune barde fiévreux nous apprendra à penser l’amour presque contre les certitudes de toute une société encore vermoulue. Veilleur de nos nuits de doute, Lounis Aït Menguellet s’éprend des luttes nouvelles. Il s’emploie à interroger la société, à appostropher les siens, à rappeler le pouvoir à ses responsabilités. Mais toujours avec cette force tranquille, ce chant profond dénué de la moindre once de violence. “Inet tsid bɣir cwal”, chantait-il. Sans crier gare ! Ni convoquer les foudres du ciel. L’homme est ainsi fait. Droit dans les tempêtes. Serein face aux vents contraires.

Mais d’où vient donc au poète cette force tranquille et impénétrable qui irrigue ses jours ? D’où lui vient ce souffle mystérieux, ininterrompu depuis 50 ans ? D’où puise-t-il donc cette force qui tutoie les décennies ? De cet attachement aux siens sans doute, pourrait-on supposer. De ces matins qui le voient renaître, de ses crépuscules qui l’enveloppent chaque soir de leur burnous pour le redonner à la vie le soleil venu.

De tout ça sans nul doute mais également de ces voix intérieures que seuls les poètes élus savent écouter et faire parler…

Le premier don du poète c’est de dire les mots (et les maux) de son peuple comme rares ceux qui savent le faire. Celui d’exprimer l’indicible ou l’insoupçonnable douleur, voire les joies des siens. C’est dans cette formidable capacité à saisir la plus infime respiration des siens que se distingue la poésie chantée de Lounis Aït Menguellet.

Un demi-siècle de chanson, ça se célèbre comme il se doit. Ça se chante ! Au grand bonheur de ceux qui seront présents à ses côtés, Lounis Aït Menguellet le fera inévitablement avec cet altruisme, cette sensibilité toute en verbe qu’on lui connaît.

Un demi-siècle de scènes, d’albums qui ont fait rêver, chanter, danser, frissonner, jubiler, voire pleurer, tout un chacun. Lounis Aït Menguellet, ce sont plusieurs générations d’inconditionnels, de passionnés et de fans avertis ou ébaubis. Une longue communion avec son public. Souvent de père en fils, de mère en fille et vice et versa.

Traverser 50 ans de chansons avec cette amitié, cette fidélité inentamée, quelle veine ! Quel souffle !

Longue carrière vénérable artiste !

Hamid Arab.

Article paru dans le Matin d’Algérie le  13 janvier 2017

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